«
Ô muse, raconte-moi l’homme… » Ainsi l’aède débute-t-il ses récits, inspiré par la poésie d’Erato, bercé par le chant de Melpomène.
Il conte les exploits et les défaites des plus grands, des héros aux noms gravés dans le marbre.
L’Ulysse aux milles ruses, le grand Achille, le divin Heraclès sont autant de visages sculptés et de modèles pour célébrer la majesté de la Grèce d'antan.
Ces mythes qui ont bercés plus d’une oreille et continuent de noircir les pages de milliers de livres sont en réalité l’oeuvre de visionnaires, connus sous les noms d’Homère ou d’Ovide.
Les dieux en tant qu’Immortels ne furent qu’un mythe ; une légende déformée tant elle fut répétée.
On les pensait veiller sur les mortels du haut de leur Olympe, alors qu’ils n’étaient pas encore nés.
ϟϟϟ
dix-sept avril 2016, Conservatoire national d’Athènes.
Ses doigts courraient avec empressement sur les touches nacrées du piano.
Ses yeux clos, son esprit cloisonné dans ses pensées, elle visualisait un autre monde et se laissait bercer par la mélodie.
Elle se pensait errer dans le
Bois sacré cher aux arts et aux muses du célèbre peintre Puvis de Chavannes, alors qu’elle se trouvait dans une salle de spectacle, sur une immense scène avec pour seule compagnie son piano.
La musique l’habitait depuis toujours.
Elle avait l’oreille absolue.
Les sons et les notes s’échappaient de ses longs doigts gracieux et de toute sa personne émanait délicatesse, harmonie et légèreté.
Ses boucles d’or, remontées en un chignon désordonné, étaient maintenues par une broche imitant une branche de laurier.
Son professeur de musique l’appelait affectueusement
sa muse et elle souriait de ce surnom, ne sachant pourquoi il résonnait dans son esprit avec un goût de déjà vu.
ϟϟϟ
dix-neuf avril 2016, dans la région d’Athènes.
Les doigts cramponnés au volant de sa vieille voiture de collection, il sondait l’horizon du regard.
Seul sur la route, seul dans son fidèle cabriolet, il roulait sans but, sans fin.
Il avait tout plaqué pour changer d’environnement et de vie, laissant derrière lui amis, parents, et même une épouse qui ne devait pas comprendre ce choix impulsif.
Peut-être l’attendait-elle, peut-être avait-elle refait sa vie ; il ne lui en voudrait pas, cela faisait presque dix ans déjà qu’il était parti.
A cette époque, il avait ressenti un besoin accru d’aventure, de faire de nouvelles rencontres, de vivre une vraie épopée, une odyssée moderne.
La vie d'héritier lui était devenue inconfortable.
Maintenant, cette vie de nomade n’avait plus la même saveur, n’avoir aucun point d’ancrage était devenu pesant, mais il se demandait quel accueil lui serait offert s’il choisissait de retourner parmi les siens.
ϟϟϟ
Ainsi, c’est à notre époque, dans la grande ville d’Athènes, bien après la mort de ces grands poètes que les personnages mythologiques se sont incarnés.
Ici les colonnes cannelées, effondrées, ne soutiennent que péniblement les frontons sculptés des temples. Les oracles ne prédisent plus richesses et malheurs.
Les palais des rois n’ont plus aussi fière allure lorsque l’aurore aux doigts de rose se lève.
Les sabots des centaures ne bourdonnent pas entre les arbres des forêts.
Les glaives ont cessé de s’entrechoquer en rythme, mais cependant c’est dans cette nouvelle Grèce, une Grèce moderne, que les Zeus, Athéna et Apollon des mythes ont pris forme.